La flexibilité des entreprises

Reflexions autour d'une mutation

Texte
Dernière mise à jour : 22 Décembre 2009
HOME Portails : 5S   Progrès Production Lean Manufacturing Lean Engineering  Maintenance Management Qualité Stratégie AUTEUR

    Partie II

    Mais qu'est donc la flexibilité ? L'apparente simplicité du terme masque des réalités très différentes.
    Ce n'est même pas une contrainte récente, mais une vieille histoire...

    Vers partie1 Vers partie3

    Sommaire

    Partie I Partie II
  • Nouvelles exigences et tendances des marchés
  • Fin de la production de masse
  • Paradoxe de l'artisan industriel
  • Rupture n'est pas Kaizen
  • Flexibilité
  • Quelle flexibilité ?
  • Evolution de la littérature
  • Une vieille histoire
  • Définition(s) de la flexibilité
  • Agilité
  • Impossible conclusion ?
  • Partie III Partie VI
  • Héritage Taylorien
  • Chasse à l'artisan
  • Le rôle du chef
  • Avantages - inconvénients (pour l'entreprise)
  • Ressources humaines
  • Nouvelles règles de la production
  • Avantages attendus des systèmes flexibles
  • Compétences et formations
  • Délégation
  • De la ligne aux îlots
  • Un management à réinventer
  • De l'industrie à l'artisanat ?
  • Révolution culturelle
  • Résistance au changement
  • Les excès d'ardeur
  • Conclusion
  • Annexe
  • Bibliographie
  • Flexibilité

      "La flexibilité du travail est devenue le maître mot des analyses de la crise des pays industrialisés.(…) Ce qui naguère passait pour avoir favorisé la croissance de l'après-guerre (stabilité des relations de travail, progression des salaires, protection sociale...) est aujourd'hui accusé de maintenir les pays dans la crise."
      Dominique MEURS, [CAHF87]

      "Paradoxalement, le but de la flexibilité est le maintien de la stabilité de certains résultats économiques."
      Robert BOYER, [CAHF87]


    Quelle flexibilité ?

    Qu'est-ce que la flexibilité ?
    De prime abord la question peut surprendre, tant le mot paraît désigner un concept simple.
    La flexibilité que nous recherchons n'est-ce pas la capacité à s'adapter aux demandes changeantes du marché, des clients ?

    Evolution de la littérature

    La recherche documentaire permet de retracer l'évolution de la notion de flexibilité et la sensibilité des différents secteurs d'activités dans le temps.

    Le début des années 80 a marqué en occident la prise de conscience des limites du taylorisme-fordisme, suite notamment à l'étude du Massachusetts Institut of Technology (MIT) sur l'industrie automobile, publiée dans le livre "The machine that changed the world", paru en France sous le titre "Le système qui va changer le monde", de James P. Womack, Daniel T. Jones et Daniel Roos [WOM92].

    Cette étude révélait les "secrets" du succès de l'industrie automobile japonaise, démontrait les limites de la production de masse et l'intérêt des méthodes juste-à-temps.

    Les premiers textes sur la flexibilité concernaient essentiellement la technique, la technologie et l'organisation industrielle, puis les disciplines connexes se sont à leur tour penchées sur le sujet.

    A mesure que la globalisation touchait d'autres secteurs que l'automobile, la littérature s'est enrichie d'exemples issus des autres industries. Cette richesse de littérature traduit la complexité du sujet et les nombreuses interrogations que suscitent les nécessaires adaptations aux changements des marchés.


    Une vieille histoire

      "Notons que contrairement à une idée répandue, certains systèmes de production du dix-huitième siècle étaient déjà flexibles. On peut penser aux imprimeries de journaux, qui ont toujours été réactives, aux industries de biens de mode (vaisselle, papier peints, tissus, etc.), qui reposaient sur des produits variés et fréquemment renouvelés." Jean-Pierre MICAELLI [UTBM]

    Cette remarque, issue d'une conférence du congrès sur la flexibilité, est particulièrement intéressante ;

    D'une part elle nous rappelle que la nécessité de flexibilité n'est pas nouvelle en soi, que c'est l'essence même du travail dans certains secteurs. Les secteurs les plus touchés par la lutte concurrentielle sont plus "mis en lumière" que les autres ; l'industrie automobile, qui fait figure de pionnier en matière de technologie et d'ingénierie fait penser que les besoins de flexibilité ne datent guère que d'une vingtaine d'années (Womack [WOM92]).

    D'autre part, ces industries déjà flexibles au XVIIIè siècle ont elles aussi subies les effets de la concurrence, elles ont dû persévérer dans leurs efforts d'adaptation et de réactivité, car le besoin de flexibilité est évolutif.

    Définition(s) de la flexibilité

    Tout comme la recherche documentaire de manière générale, la recherche d'une définition "officielle" de la flexibilité de l'entreprise révèle la complexité et les aspects polymorphes du sujet. Les quelques définitions qui suivent sont une sélection qui semble pertinente face à notre problématique et représentative de la diversité des "formes".

    Le Larousse contemporain livre quelques pistes intéressantes ;

    • Susceptible de s'adapter aux circonstances, souple. Cette première définition est celle à laquelle nous nous attendions, simple, rassurante.

    • "Atelier flexible, atelier de mécanique à gestion informatisée assurant, grâce à des machines-outils automatisées (souvent des centres d'usinages) la production de pièces ou d'ensembles divers". Cette seconde définition désigne un concept d'organisation que les Américains ont nommé Flexible Manufacturing System (FMS) qui est basé sur l'intégration des automatismes, l'informatique et autres technologies complexes et coûteuses.

      Cette acception peut être éliminée dés à présent, car ce modèle, mis à mal par les impératifs de minceur du "Lean Manufacturing", n'est pas adaptable au cas qui nous occupe.

    • Caractère flexible, celui qui cède facilement aux influences. La troisième définition nous ramène au mimétisme, cédons-nous aux influences externes qui prône la flexibilité comme étant la norme de notre profession ?


    • Christophe EVEAERE

      "Afin de pouvoir prendre en compte ses multiples dimensions, nous avons choisi de retenir une définition à la fois simple et large de la flexibilité qui permet d'englober les nombreux cas de figure, la diversité des manifestations et des impacts dans les différents domaines de l'entreprise. La flexibilité est ainsi définie comme une capacité d'adaptation sous la double contrainte de l'incertitude et de l'urgence." [EVEA97]

    • Benjamin CORIAT

      Dans "penser à l'envers" [COR91, p96], en évoquant le "système TOYOTA" construit par Taichi OHNO [OHNO90], [OHNO78], et la spécificité de "l'école japonaise" : Flexibilité interne ; "Capacité à effectuer des tâches différentes, à conduire plusieurs machines correspondant à des opérations successives, à gérer la programmation comme le diagnostic, la maintenance ou la qualité."


    • Robert BOYER

      "La flexibilité, concept protéiforme"

      Robert Boyer [STAN88], ne dénombre pas moins de cinq définitions principales (qui renvoient aux différentes composantes du rapport salarial). La flexibilité peut ainsi signifier :

      1. L’aptitude à ajuster les équipements à une demande variable en volume et composition (équipements flexibles).
      2. L’adaptabilité des travailleurs à des tâches variées, complexes ou non.
      3. La possibilité de varier l’emploi et la durée du travail en fonction de la conjoncture locale ou globale.
      4. La sensibilité des salaires à la situation des firmes et du marché du travail.
      5. L’élimination des dispositifs défavorables à l’emploi en matière de fiscalité et de transferts sociaux.

    • Georges JAVEL

      [JAV93]"Ce mot est très à la mode de nos jours. La flexibilité peut être définie comme l'aptitude à répondre à une variation de la demande. Elle peut être vue sous l'angle :

      • des employés,
      • des produits,
      • de l'élaboration des produits."

      Et l'auteur d'expliquer que :

      • La flexibilité des emplois s'obtient par la flexibilité des horaires, la modulation, sans citer explicitement le recours au travail temporaire.

      • La flexibilité des produits peut s'obtenir par un éventail de variantes ou d'options, ce que l'on appelle la différentiation retardée. Typiquement : organiser la production avec le plus de moyens ou pièces communs aux différents modèles et n'ajouter que très tardivement les pièces spécifiques qui donneront leur particularité aux modèles. Or pour cela il faut maîtriser la conception aussi bien que la production, ce qui n'est pas toujours le cas.

      • La flexibilité de l'élaboration des produits, de la production s'obtient par l'adoption de machines universelles et de robots. Cette décision implique une évolution des ouvriers par l'augmentation de leur compétence.

      Cette vision, réduite aux industries mécaniques et fortement automatisées, comme les FMS évoquées précédemment, comporte néanmoins une remarque d'importance ; La nécessaire augmentation des compétences des exécutants.


    • Olivier BADOT et l'Agilité

      Le concept d'agilité est apparu dans le vocabulaire des entreprises et des organisations industrielles aux Etats-Unis. Au Japon, on parle plutôt de "Lean Manufacturing".

      Pour une entreprise, être "agile" c'est être capable de s'adapter à un environnement de plus en plus compétitif, sujet à des changements imprévisibles, et de fidéliser une clientèle de plus en plus exigeante.

      La très intéressante réflexion d'Olivier BADOT et sa définition de l'entreprise agile, issue de "Théorie de l'entreprise agile" [BADO98] est livrée en annexe (partie IV).

      On retiendra en particulier :

      "Les hommes et les femmes de l'entreprise agile sont - par leur connaissance intime des clients et de l'environnement, par leurs savoir-faire en permanence affûtés, par leur imagination et par les initiatives qu'ils sont autorisés à prendre pour satisfaire de façon originale le client - la principale source de différenciation et de performance commerciale de l'entreprise."

      Son développement s'oriente vers la responsabilisation et l'implication des employés (empowerment), la décentralisation et les structures coopératives en réseaux.


      Quelle(s) flexibilité(s) ?

      Au terme d'une excursion - limitée - dans la littérature, il faut répondre à la question non plus qu'est-ce que la flexibilité, car polymorphe ou protéiforme, tant les contours et la nature même de la flexibilité paraissent insaisissables, mais quelle(s) flexibilité(s) est/sont nécessaire(s) à notre entreprise ?

      Des quatre types majeurs :

      1. La flexibilité de l'emploi
      2. La flexibilité du marché du travail
      3. La flexibilité des salaires
      4. La flexibilité des systèmes techniques

      La flexibilité du temps de travail, composante de l'emploi et des systèmes techniques, se décline selon trois paramètres durée, amplitude et cycles en :

      • Annualisation et modulation horaire
      • Recours aux heures supplémentaires
      • Horaires variables
      • Chômage partiel
      • Equipes de suppléance (travail du week-end)
      • Placements des congés
      • Recours aux contrats temporaires
      • Incidence sur les salaires

      Cela conduit à une gestion individuelle et comptable du temps de travail et le constat que
      "La flexibilisation du temps de travail ne vise plus l'amélioration des conditions de vie et de travail" [STAN88, p136]


    Impossible conclusion ?

    Quelle(s) flexibilité(s) est/sont nécessaire(s) à l'entreprise ?
    Faut-il être flexible en tout ?

    Le concept de flexibilité peut s'appréhender intuitivement, mais sa définition, ses formes, ses contours semblent fuir et changer sans cesse, à mesure que l'on essaie de les circonscrire. Le problème réside dans son caractère difficilement généralisable ; Il faut considérer une entreprise et les conditions que lui imposent son environnement, définir ensuite quelles réponses sont appropriées à ses contraintes. (Cf. la théorie de la contingence de Lawrence et Lorsch).

    Dans ces conditions, on peut répondre que non, il n'est pas nécessaire d'être flexible en tout, il faut être flexible comme les conditions de son environnement propre le réclament.

    Vers partie1 Vers partie3

    Bibliographie

  • [AOKI91] AOKI Masahiko, "Economie japonaise, information, motivations et marchandage", Economica, Paris, 1991, 354p
  • [ARGY98] ARGYRIS Chris, "L'empowerment, ou les habits neufs de l'empereur" in L'Expansion Management Review, n°90 Septembre 1998, pp25-30
  • [BADO98] BADOT Olivier, "Théorie de l'entreprise agile", L'harmattan, Paris, 1998, 295p
  • [BART91] BARTLETT Christopher et GHOSHAL Sumanta, "le management sans frontières", Editions d'organisation, Paris, 1991, 367p
  • [BELL97] BELLIER-MICHEL Sandra, "Modes et légendes au pays du management", Vuibert, Paris, 1997,79p
  • [BERA87] BERANGER Pierre, "Les nouvelles règles de la production : vers l'excellence industrielle", Dunod entreprise, Paris, 1987
  • [BOIS98] BOIS Antoine et Neildez Emmanuel " LES SCENARII POSSIBLES DES USINES DU FUTUR" in "Revue Française de Gestion Industrielle", Vol. 17, n° 1, pp49-66, Paris, 1998
  • [BPS88] Boyer, Poirée et Salin "Précis d'organisation et de gestion de la production", Editions d'organisation, Paris, 1988, 608p
  • [BRUN99] BRUNSTEIN Ingrid, "L'homme à l'échine pliée", ouvrage collectif sous la direction de, Sociologie Clinique, Paris, 1999, 205p
  • [BUL96] Bulletin du centre d'analyse et de prévision, Ministère des Affaires étrangères, numéro 66 - printemps 1996, Paris, 1996, 99p
  • [BYH96] BYHAM William, "L'empowerment, défense et illustration" in L'Expansion Management Review, n°80, Mars 1996, pp 70-78
  • [CAHF87]"La flexibilité du travail", sous la direction de Dominique MEURS, Les Cahiers Français n°231, Paris, 1987, 72p
  • [CAHF96]"Les stratégies d'entreprises", sous la direction de Jean-Yves CAPUL, Les Cahiers Français n°275, Paris, mars-avril 1996, 116p
  • [CAHF98]"Management et organisation des entreprises", sous la direction de Jean-Yves CAPUL, Les Cahiers Français n°287, Paris, juillet-septembre 1998, 112p
  • [CHAI95] CHAIZE Jacques, " EMPOWERMENT : les obstacles et les leviers " in L'Expansion Management Review, Décembre 1995
  • [COR91] CORIAT Benjamin, "Penser à l'envers, Travail et organisation dans l'entreprise japonaise", Christian Bourgois Editeur, Paris, 1991, 186p
  • [DEJO98] DEJOURS Christophe, "Travail usure mentale", Bayard Editions, Paris, 1998, 263p
  • [EVEA97] EVEAERE Christophe "Management de la flexibilité", Economica, Paris, 1997, 203p
  • [GOLD93] Goldratt et Cox "Le But, un processus de progrès permanent" (2ème Edition), AFNOR, Paris, 1993, 328p
  • [IEE97]"L'industrie électronique Européenne", Direction générale des stratégies industrielles, secrétariat d'état à l'industrie, Paris, 1997,363p
  • [JAV93] JAVEL Georges,"l'organisation et la gestion de production", Masson, Paris, 1993, 305p
  • KNOBLOCH Lydia, "SONY Alsace : le passage de la ligne à la cellule flexible de production et ses conséquences sur la gestion du personnel", Bibliothèque de l'IAE Strasbourg, DESS RH, 1999

  • [LESA93] LE SAGET Meryem "Le manager intuitif, une nouvelle force", Dunod, Paris, 1993, 328p
  • [MARR94] MARRIS Philip, "Le management par les contraintes en gestion industrielle", Les éditions d'organisation, Paris, 1994,318p
  • [MORI88] MORITA Akio "Made in Japan", Signet, New York, 1988, 343p
  • [NAY94] NAY Jean-Gérard, "Manager au Japon, un itinéraire", l'Harmattan, Paris, 1994, 208p
  • [PIEL98] PIEL Jean, "Corée, tempête au pays du Matin-Calme", Editions Philippe Picquier, Paris, 1998, 254p
  • [OHNO78] OHNO Taiichi, "Toyota Production System: Beyond Large-Scale Production", 1978
  • [OHNO90] OHNO Taiichi, "L'esprit TOYOTA", Masson, Paris,1990,132p
  • [OUCHI82] OUCHI William, "Théorie Z, faire face au défi japonais", Intereditions, Paris, 1982, 252p
  • [PPS99] Problèmes Politiques et Sociaux, "les mutations du modèle japonais de l'entreprise", La documentation française, Paris, n°820 avril 1999, 74p
  • [SCOTT98] SCOTT Cynnthia et JAFFE Dennis, "L'empowerment", les presses du management, Paris, 1998, 80p
  • [STAN88] STANKIEWICZ François, "Les stratégies d'entreprises face aux ressources humaines, l'après taylorisme", ouvrage collectif sous la direction de, Economica, Paris, 1988,261p
  • [UN86]"Recent trends in flexible manufacturing", Economic Commission for Europe (United Nations), New-York, 1986, 314p
  • [UTBM] "De l'usine flexible aux équipes autonomes", actes du Congrès 2000, Université de technologie de Belfort - Montbéliard (UTBM)
  • [WOM92] James P. WOMACK, Daniel T. JONES et Daniel ROOS, "Le système qui va changer le monde", Dunod, Paris, 1992

L'auteur, Christian HOHMANN, est directeur associé, en charge du pôle Lean et Supply Chain au sein d'un cabinet spécialisé.

Contact commercial

 

A lire également sur HConline

Empowerment
Portail Management
Kaizen
Principes clés de succès d'un projet de déploiement
HOSHIN KANRI ou "déploiement de la politique"
Le principe des 5S


Cette page vous est offerte par ©hristian HOHMANN -  http://chohmann.free.fr/