Partie II
Mais qu'est donc la flexibilité ? L'apparente simplicité du terme masque des réalités très
différentes.
Ce n'est même pas une contrainte récente, mais une vieille histoire...
Sommaire
Flexibilité
"La flexibilité du travail est devenue le maître mot des analyses de la
crise des pays industrialisés.(…) Ce qui naguère passait pour avoir favorisé la
croissance de l'après-guerre (stabilité des relations de travail, progression des salaires,
protection sociale...) est aujourd'hui accusé de maintenir les pays dans la crise." Dominique MEURS, [CAHF87]
"Paradoxalement, le but de la flexibilité est le maintien de la stabilité
de certains résultats économiques." Robert BOYER, [CAHF87]

Quelle flexibilité ?
Qu'est-ce que la flexibilité ?
De prime abord la question peut surprendre, tant le mot paraît désigner un
concept simple. La flexibilité que nous recherchons n'est-ce pas la capacité à
s'adapter aux demandes changeantes du marché, des clients ?
Evolution de la littérature
La recherche documentaire permet de retracer l'évolution de la notion de
flexibilité et la sensibilité des différents secteurs d'activités dans le temps.
Le début des années 80 a marqué en occident la prise de conscience
des limites du taylorisme-fordisme, suite notamment à l'étude du Massachusetts Institut of
Technology (MIT) sur l'industrie automobile, publiée dans le livre "The machine that changed the
world", paru en France sous le titre "Le système qui va changer le monde", de James P.
Womack, Daniel T. Jones et Daniel Roos [WOM92].
Cette étude révélait les "secrets" du succès de l'industrie
automobile japonaise, démontrait les limites de la production de masse et l'intérêt des
méthodes juste-à-temps.
Les premiers textes sur la flexibilité concernaient essentiellement la technique,
la technologie et l'organisation industrielle, puis les disciplines connexes se sont à leur tour
penchées sur le sujet.
A mesure que la globalisation touchait d'autres secteurs que l'automobile, la
littérature s'est enrichie d'exemples issus des autres industries. Cette richesse de
littérature traduit la complexité du sujet et les nombreuses interrogations que suscitent
les nécessaires adaptations aux changements des marchés.

Une vieille histoire
"Notons que contrairement à une idée répandue, certains
systèmes de production du dix-huitième siècle étaient déjà
flexibles. On peut penser aux imprimeries de journaux, qui ont toujours été réactives,
aux industries de biens de mode (vaisselle, papier peints, tissus, etc.), qui reposaient sur des produits
variés et fréquemment renouvelés." Jean-Pierre MICAELLI [UTBM]
Cette remarque, issue d'une conférence du congrès sur la flexibilité,
est particulièrement intéressante ;
D'une part elle nous rappelle que la nécessité de flexibilité n'est
pas nouvelle en soi, que c'est l'essence même du travail dans certains secteurs. Les secteurs les plus
touchés par la lutte concurrentielle sont plus "mis en lumière" que les autres ; l'industrie
automobile, qui fait figure de pionnier en matière de technologie et d'ingénierie fait penser
que les besoins de flexibilité ne datent guère que d'une vingtaine d'années (Womack [WOM92]).
D'autre part, ces industries déjà flexibles au XVIIIè siècle
ont elles aussi subies les effets de la concurrence, elles ont dû persévérer dans leurs
efforts d'adaptation et de réactivité, car le besoin de flexibilité est évolutif.
Définition(s) de la flexibilité
Tout comme la recherche documentaire de manière générale, la
recherche d'une définition "officielle" de la flexibilité de l'entreprise révèle
la complexité et les aspects polymorphes du sujet. Les quelques définitions qui suivent sont
une sélection qui semble pertinente face à notre problématique et représentative
de la diversité des "formes".
Le Larousse contemporain livre quelques pistes intéressantes ;
Susceptible de s'adapter aux circonstances, souple. Cette première définition
est celle à laquelle nous nous attendions, simple, rassurante.
"Atelier flexible, atelier de mécanique à gestion informatisée
assurant, grâce à des machines-outils automatisées (souvent des centres d'usinages) la
production de pièces ou d'ensembles divers".
Cette seconde définition désigne un concept d'organisation que les
Américains ont nommé Flexible Manufacturing System (FMS) qui est basé sur
l'intégration des automatismes, l'informatique et autres technologies complexes et coûteuses.
Cette acception peut être éliminée dés à présent,
car ce modèle, mis à mal par les impératifs de minceur du "Lean Manufacturing",
n'est pas adaptable au cas qui nous occupe.
Caractère flexible, celui qui cède facilement aux influences.
La troisième définition nous ramène au mimétisme,
cédons-nous aux influences externes qui prône la flexibilité comme étant la
norme de notre profession ?

- Christophe EVEAERE
"Afin de pouvoir prendre en compte ses multiples dimensions, nous avons choisi de retenir
une définition à la fois simple et large de la flexibilité qui permet d'englober les
nombreux cas de figure, la diversité des manifestations et des impacts dans les différents
domaines de l'entreprise. La flexibilité est ainsi définie comme une capacité
d'adaptation sous la double contrainte de l'incertitude et de l'urgence." [EVEA97]
- Benjamin CORIAT
Dans "penser à l'envers"
[COR91, p96],
en évoquant le "système TOYOTA"
construit par Taichi OHNO [OHNO90], [OHNO78],
et la spécificité de "l'école japonaise" :
Flexibilité interne ; "Capacité à effectuer des tâches différentes,
à conduire plusieurs machines correspondant à des opérations successives, à
gérer la programmation comme le diagnostic, la maintenance ou la qualité."

Robert BOYER
"La flexibilité, concept protéiforme"
Robert Boyer [STAN88],
ne dénombre pas moins de cinq définitions principales (qui renvoient aux différentes
composantes du rapport salarial). La flexibilité peut ainsi signifier :
- L’aptitude à ajuster les équipements à une demande variable
en volume et composition (équipements flexibles).
- L’adaptabilité des travailleurs à des tâches variées,
complexes ou non.
- La possibilité de varier l’emploi et la durée du travail en fonction
de la conjoncture locale ou globale.
- La sensibilité des salaires à la situation des firmes et du
marché du travail.
- L’élimination des dispositifs défavorables à l’emploi en
matière de fiscalité et de transferts sociaux.
Georges JAVEL[JAV93]"Ce mot est très à la mode de nos jours.
La flexibilité peut être définie comme l'aptitude à répondre à une
variation de la demande. Elle peut être vue sous l'angle :
- des employés,
- des produits,
- de l'élaboration des produits."
Et l'auteur d'expliquer que :
La flexibilité des emplois s'obtient par la flexibilité des horaires,
la modulation, sans citer explicitement le recours au travail temporaire.
La flexibilité des produits peut s'obtenir par un éventail de variantes
ou d'options, ce que l'on appelle la différentiation retardée.
Typiquement : organiser la production avec le plus de moyens ou pièces communs aux différents
modèles et n'ajouter que très tardivement les pièces spécifiques qui donneront
leur particularité aux modèles. Or pour cela il faut maîtriser la conception aussi bien
que la production, ce qui n'est pas toujours le cas.
La flexibilité de l'élaboration des produits, de la production
s'obtient par l'adoption de machines universelles et de robots. Cette décision implique une
évolution des ouvriers par l'augmentation de leur compétence.
Cette vision, réduite aux industries mécaniques et fortement
automatisées, comme les FMS évoquées précédemment,
comporte néanmoins une remarque d'importance ; La nécessaire augmentation des
compétences des exécutants.

Olivier BADOT et l'Agilité
Le concept d'agilité est apparu dans le vocabulaire des entreprises et des
organisations industrielles aux Etats-Unis. Au Japon, on parle plutôt de "Lean Manufacturing".
Pour une entreprise, être "agile" c'est être capable de s'adapter à
un environnement de plus en plus compétitif, sujet à des changements imprévisibles,
et de fidéliser une clientèle de plus en plus exigeante.
La très intéressante réflexion d'Olivier BADOT et sa
définition de l'entreprise agile, issue de "Théorie de l'entreprise agile" [BADO98] est
livrée en annexe (partie IV).
On retiendra en particulier :
"Les hommes et les femmes de l'entreprise agile sont - par leur connaissance intime des
clients et de l'environnement, par leurs savoir-faire en permanence affûtés, par leur
imagination et par les initiatives qu'ils sont autorisés à prendre pour satisfaire de
façon originale le client - la principale source de différenciation et de performance
commerciale de l'entreprise."
Son développement s'oriente vers la responsabilisation et l'implication des
employés (empowerment), la décentralisation et les structures
coopératives en réseaux.

Quelle(s) flexibilité(s) ?
Au terme d'une excursion - limitée - dans la littérature, il faut
répondre à la question non plus qu'est-ce que la flexibilité, car polymorphe ou
protéiforme, tant les contours et la nature même de la flexibilité paraissent
insaisissables, mais quelle(s) flexibilité(s) est/sont nécessaire(s) à notre
entreprise ?
Des quatre types majeurs :
- La flexibilité de l'emploi
- La flexibilité du marché du travail
- La flexibilité des salaires
- La flexibilité des systèmes techniques
La flexibilité du temps de travail, composante de l'emploi et des systèmes techniques,
se décline selon trois paramètres durée, amplitude et cycles en :
- Annualisation et modulation horaire
- Recours aux heures supplémentaires
- Horaires variables
- Chômage partiel
- Equipes de suppléance (travail du week-end)
- Placements des congés
- Recours aux contrats temporaires
- Incidence sur les salaires
Cela conduit à une gestion individuelle et comptable du temps de travail et le
constat que "La flexibilisation du temps de travail ne vise plus l'amélioration des conditions de
vie et de travail" [STAN88, p136]

Impossible conclusion ?
Quelle(s) flexibilité(s) est/sont nécessaire(s) à l'entreprise ?
Faut-il être flexible en tout ?
Le concept de flexibilité peut s'appréhender intuitivement, mais sa
définition, ses formes, ses contours semblent fuir et changer sans cesse, à mesure que l'on
essaie de les circonscrire. Le problème réside dans son caractère difficilement
généralisable ; Il faut considérer une entreprise et les conditions que lui
imposent son environnement, définir ensuite quelles réponses sont appropriées
à ses contraintes. (Cf. la théorie de la contingence de Lawrence et Lorsch).
Dans ces conditions, on peut répondre que non, il n'est pas nécessaire
d'être flexible en tout, il faut être flexible comme les conditions de son environnement propre
le réclament.

Bibliographie
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